Plus qu’une crise, le coronavirus nous fait vivres des crises, multiples : sanitaire, bien sûr, mais aussi crise de l’offre, lorsque les productions sont interrompues, ou de la demande, lorsque les populations se cloîtrent chez elles. Crise de notre mode de vie, de notre travail. Comme la canicule, dont nous parlions déjà dans les deux gouttes d’inspiration précédentes (ici et ici), le Covid-19 est aussi une crise de notre manière d’habiter le monde.
Nous vivons une réduction brutale des flux physiques (déplacement des personnes et des biens), et, de manière concomitante, une augmentation exponentielle des flux d’informations (news en ligne ou à la télévision, communautés virtuelles, discussions en ligne…). Où cela nous mène-il ?
Notre système, qui nous paraît si naturel, dans l’ordre des choses, et surtout, inarrêtable, s’est brusquement mis en pause, nous incitant à imaginer quel monde nous voulons pour la suite.
La question de « l’après » soulève (au moins) deux autres interrogations : Quelle résilience ? Et quelle évolution ?
Résilience
D’après le chercheur canadien C.S. Holling (1), la résilience écologique est « la capacité d’un système vivant à retrouver les structures et les fonctions de son état de référence après une perturbation ».
Notre société est-elle résiliente ? Que pouvons-nous apprendre des écosystèmes naturels sur ce sujet ?
Dans le cadre de la canicule de l’été 2019, et à la modeste échelle du Jardin des Déesses, j’ai observé avec intérêt que, à conditions équivalentes de paillage et d’exposition, les mini corridors de biodiversité (les îlots de vie reliés par des passages qui permettent aux habitants de circuler) ont récupéré beaucoup plus vite que les zones de moindre biodiversité.
La résilience d’un écosystème est favorisée par la complémentarité des organismes présents et par la redondance des fonctions qu’ils y assurent, comme l’a effectivement établi le chercheur Thomas Cordonnier (1). D’où l’importance d’assurer des connexions entre les zones vertes pour permettre aux espèces de se déplacer et de préserver la biodiversité, comme le fait par exemple le projet Trame verte et bleu.
Si nous transposons ces deux caractéristiques à l’échelle de la société
- la question de la redondance sur les fonctions vitales a déjà été largement débattue et sera un enjeu majeur de la reconfiguration à venir
- concernant la question de la « biodiversité », le débat ne fait que commencer : le Covid nous interpelle sérieusement sur la notion d’interdépendance (et pas seulement sur les circuits économiques). Quels « corridors de biodiversité » humains souhaitons nous mettre en place ?
Et chacun d’entre nous peut se demander ce qu’il en est au sein de chacun de ses écosystèmes respectifs (entreprises, communautés, voisinages, famille)
La résilience opère dans un environnement sous contraintes : au-delà de certains seuils, le système n’a plus la capacité de se régénérer. Certaines contraintes sont bien connues, par exemple la limitation du réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’époque préindustrielle. D’autres sont plus difficiles à discerner : par exemple, la surface que nous pouvons nous permettre de bétonner dans tel système écologique avant que celui-ci ne change profondément de structure et de fonctionnement.
Que se passe-t-il si la résilience naturelle du système n’est pas assez forte ou que l’effet de seuil est activé ? Lorsque le système actuel révèle sa fragilité ?
Evolution
Nous entendons souvent « rien ne sera plus comme avant ».
Certes. Mais quel « demain » voulons nous co-construire ? Alors que tout est mis en pause, nous avons enfin l’occasion de prendre du recul. Que voulons-nous remettre en cause, arrêter définitivement ou au contraire accélérer, infléchir, repenser ?
Le Covid-19 nous a imposé une certaine forme de sobriété et convoqué à reconsidérer ce qui est essentiel.
Il nous a confrontés à la notion de dilemme social (quand l’intérêt personnel incite à des comportements à l’impact négatif sur la collectivité) mais aussi à celle de solidarité.
Enfin, il nous a révélé des trésors d’engagement et d’altruisme de la part de tous ceux qui nous soignent ou font fonctionner notre société, ainsi qu’une explosion de créativité sur les réseaux sociaux.
Alors, qu’allons-nous faire de tout cela ?
Et si …
Et si … les théories des utilitaristes et des choix rationnels, qui considèrent que les individus cherchent forcément à maximiser leurs biens matériels, n’étaient que partiellement vraies ?
Et si … cette période nous permettait de renforcer notre « capital social », de renforcer la confiance et la réciprocité, d’honorer et de soutenir aujourd’hui et demain ceux qui sont dans la canicule du Covid et qui protègent l’ensemble de notre corps social ?
Et si … nous continuions tous, dans la mesure de nos disponibilités respectives, à mettre en réseau nos intelligences et nos bonnes volontés pour nous investir ensemble dans la mise en place de projets ou communautés à impact positif sur le plan social, écologique, éducatif ? Et à accélérer la mise en place de nouvelles habitudes en faveur du vivant, pour prendre soin du monde que nous allons transmettre à nos enfants ?
Et si … nous capitalisions sur ce dont nous sommes si fiers et qui nous différencie, selon nous, des fourmis, des abeilles et autres animaux sociaux : notre intelligence, notre créativité, notre capacité à imaginer et créer ensemble … pour tirer le meilleur parti de ce que nous expérimentons aujourd’hui et nous mobiliser concrètement, localement, efficacement pour mettre en place une gestion plus vertueuse des « biens communs » (2)?
De nombreux modèles existent dans lesquels nous pouvons piocher pour créer un monde qui nous permette de vivre davantage en harmonie avec nos écosystèmes, de redévelopper les capacités productives de nos territoires, et de produire de manière raisonnable et sans épuiser les ressources :
- La permaculture
- L’agroécologie
- L’économie circulaire
- L’éco-conception
- L’économie sociale et solidaire
- L’open source
- L’économie symbiotique (d’après le modèle et titre du livre clair, inspirant et passionnant d’Isabelle Delannoy)
- La gouvernance des communs
- … et bien d’autres à partager et découvrir ensemble
De nombreuses initiatives, associations, communautés existent.
Dans cette pause imprévue, nous apprenons que de façon stupéfiante, nous avons la capacité de changer radicalement de modèle lorsque les conditions l’exigent.
Alors que notre élan nous pousse à rester en lien, nous prenons aussi conscience de notre interdépendance : entre pays, entre parts de la population (notamment professionnelles), et tout simplement entre individus. Nous voyons aussi les intérêts vitaux des humains et ceux de la nature se rejoindre.
Nous avons tous commencé à modifier un peu nos habitudes. Nous sommes déjà sur la voie.
Nous pouvons amplifier le mouvement, en choisissant de mettre en place des habitudes vertueuses, des projets collectifs qui feront la différence, puis nous y tenir dans la durée.
… Et tous ensemble infléchir la tendance pour évoluer vers un monde plus résilient.
En complément des plates formes de consultation qui fleurissent, un ou deux exemples d’initiatives opérationnelles dès aujourd’hui :
- Les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) : le consommateur s’engage pour une période donnée à acheter des paniers de produits frais à un producteur local. La plupart des AMAP poursuivent leur activité pour soutenir les petits producteurs pendant le coronavirus. Plus d’informations ici ; trouver une AMAP près de chez vous ici
- Un guide pour contribuer à des projets open source ici
Et vous quelles initiatives voyez-vous, avez-vous envie de faire connaitre ?
Au plaisir de vous lire
Marie-France Fourrier
Master Coach ICF, Superviseure
Permacultrice attentionnée du vivant
(1) Sur la résilience des systèmes écologiques : voir C. S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology and Systematics. Vol 4 :1-23, 1973 ; et Thomas Cordonnier, « Perturbations, diversité et permanence des structures dans les écosystèmes forestiers. », Life Sciences, 11 janvier 2005.
(2) Sur les biens communs : voir les travaux d’Elinor Oström, Prix Nobel d’économie en 2009. Dans son livre, Governing the Commons (La gouvernance des biens communs), elle s’intéresse à l’élaboration de méthodes pour gérer au mieux des ressources, reçues en partage et, par nature, rares et altérables (énergie, air, eau, climat).