Covid-19 et canicule (1/3)

Covid-19 et canicule (1/3)

L’an dernier, les mois de juin et juillet se sont déroulés dans la canicule. Arbres, animaux, insectes ont adopté des stratégies de survie. Pour autant, la vie ne s’est pas mise en sommeil : au contraire, le Jardin s’est réorganisé pour faire face.

Comme l’épidémie actuelle de Covid-19, la canicule force chacun à modifier sa manière de vivre pour se protéger et protéger les autres.

Chaque espèce a mis en place ses propres techniques et collabore avec les autres. Pour celles qui vivent en communauté, la réclusion sous leur abri ou le couvert du paillage installé pour protéger la terre du soleil est l’une des plus efficaces – mais pas forcément la plus simple. Vivre dans une bulle nécessite de réinventer les systèmes coopératifs : quels individus sont protégés en priorité ? Qui est chargé du ravitaillement, du lien avec l’extérieur ? Quels échanges prennent place au sein du groupe ? Et surtout, comment le groupe devient-il une entité plus large que la somme des individus qui le composent ?

Individuellement, les fourmis rousses, qui vivent dans des fourmilières en forme de dôme, sont incapable de réguler la température de leur corps : elles sont dites « à sang froid ». En revanche, lorsque chaque individu est une cellule du corps social, elles savent modifier la position des entrées de leur abri pour fermer celles qui sont exposées au soleil et ouvrir celles situées dans les zones d’ombres : collectivement, elles forment un corps « à sang chaud ». En contrôlant le degré d’ouverture et de fermeture de l’abri, elles maintiennent l’équilibre entre protection face à des conditions extérieures extrêmes et le maintien du minimum nécessaire de contact avec leur environnement.

Résilience et coopération.

L’épidémie actuelle touche certes à notre survie – notre santé, notre économie -, mais aussi à notre tissu social, notre manière d’envisager la relation à l’autre et au groupe.

Confinement, quarantaine, lockdown, distanciation sociale. Les mots ne manquent pas et les médias rivalisent d’imagination pour tenter de définir une situation qui, bien qu’elle ne soit pas inédite dans l’histoire, modifie profondément nos repères.

Recentrage 

Si la vie du Jardin est loin de s’arrêter pendant la canicule, elle se recentre sur l’essentiel. Certaines plantes se mettent en repos végétatif, interrompant leurs fonctionnalités non essentielles pour un temps, quitte à redoubler d’effort une fois que les conditions sont plus favorables. Les potirons, par exemple, patientent jusqu’à l’automne pour faire pousser leurs fruits.

Attente.

Attendre, oui, mais jusqu’à quand ? Car c’est l’incertitude qui est la plus frustrante dans le confinement que le virus nous impose. Deux semaines, quatre, six, plus ? Pas de date. Le retour à la normal s’étire dans le flou. Les calendriers accrochés sur nos murs, nos téléphones, nos ordinateurs, semblent nous narguer. Notre rythme, d’habitude si parfaitement contrôlé, file entre nos doigts et reste sourd à nos exigences.

Vide et vertige.

Deux solutions s’offrent à nous face à l’étrange, à l’environnement dérangé, au temps suspendu. Remplir ce trou dans nos vies à tout prix, y compris et surtout celui de la futilité. S’occuper pour s’occuper, sans productivité mais surtout sans plaisir. Tenter d’ignorer le malaise sourd que nous éprouvons à voir notre routine soudain inatteignable.

Ou alors, réfléchir, justement, à ce qui fait notre quotidien. Donner du sens à chaque élément – ou voir que certains n’en n’ont pas, au-delà de l’habitude, du réflexe. Profiter de l’absence de certaines tâches inévitables en temps normal pour redécouvrir et approfondir l’essentiel.

Car recentrage signifie aussi questionnement. Quelles sont ces moments et actions qui constituent le cœur de nos vies ? Contrairement aux plantes – dont l’essentiel est la survie, et le secondaire, la croissance -, la réponse est personnelle à chaque. Pour perturbante qu’elle soit, une vie confinée nous offre un espace propice à la réflexion sur soi-même.

Réinventer la coopération 

Pour personnel que soit ce retour à soi-même, il n’exclu pas la collaboration et à la participation au groupe social. Au contraire, tout ce qui est machinal dans notre relation aux autres se trouve soudain inadapté, en décalage avec notre environnement.

Que nous soyons confinés en famille ou seuls, travaillons à distance ou non, nous naviguons un équilibre précaire entre solitude et contact social, entre fermeture de l’espace autour de nous et invention de nouvelles ouvertures, comme l’air qui circule sous le paillage du Jardin.

Quel que soit le fil rouge que nous suivons, ni l’isolement, ni la compétition ne sont une option.

Comme les plantes, nous vivons au sein d’un réseau et le confinement nous fait plus que jamais prendre conscience à quel point nous sommes des êtres sociaux. Dans la nature, les interactions sont partie prenante de la survie et du développement des êtres vivants. Les racines des arbres, par exemple, sont reliées les unes aux autres à travers un maillage de champignons qui forment des mycorhizes, comme raconté dans une goutte précédente (à relire ici).

Des modes de vie a priori totalement différents se révèlent complémentaires et les caractéristiques de l’un complémentent celles de l’autre.

En période de canicule, les systèmes de coopération se modifient plusieurs fois au cours d’un même épisode de chaleur. Cette agilité nous inspire dans notre manière d’inventer de nouvelles méthodes de travail et de remplacer les outils, les lieux, les interactions rendues impossibles par l’épidémie. Par tâtonnements, par essais et échecs, jusqu’à trouver les conditions ou les partenaires idéaux – au moins pour un temps, avant que les conditions ne changent ou que la symbiose soit perfectionnée.

Toutes les combinaisons ne sont pas pour autant pertinentes. Si certaines plantes ont la capacité de répondre à une large gamme de situations, d’autres ont des besoins plus spécifiques, et ne peuvent se développer que dans des conditions bien précises.

Dans notre vie professionnelle, l’espace de travail tend à effacer les différences, ou du moins les rendre invisibles. Le confinement, et en particulier le télétravail, nous renvoie à notre vie privée et brouille les frontières. De même que toutes les plantes ne sont pas égales face à la chaleur extrême, chacun d’entre nous vit l’épidémie dans un ensemble de conditions physiques, familiales et sociales différentes.

Le manager, en particulier, a alors un rôle de facilitateur. En garantissant l’équité de tous, il créé un contexte de coopération favorable au groupe dans son ensemble. Plutôt que d’être bloqué dans des habitudes impossibles à poursuivre, il ouvre les yeux sur des possibilités que nous n’envisageons pas en temps normal.

Harmonie avec soi-même. Harmonie du groupe.

Et vous, comment vous arrimez-vous à vous-même et aux autres ?

Marie-France Fourrier