Goutte d’inspiration #12

Goutte d’inspiration #12

Les plis du monde, source d’émerveillement

Les gouttes d’inspiration : Au fil des saisons, au fil des balades, cette « brève » est l’occasion de partager avec vous une réflexion inspirée par la nature et l’énergie du vivant.

Alors que la nuit tombe, le thermomètre indique moins de zéro. Bien au chaud dans le salon, je me réfugie dans la magnifique BD de Jérémie Moreau, Penss et les plis du monde. Elle m’emporte dans un monde imaginaire et en même temps absolument réel.

« Ce que tu ne comprends pas, c’est que ces montagnes, ces étoiles, sont infiniment plus belles que n’importe quel homme ».

A l’aube de l’humanité, Penss est un jeune homme rêveur, qui préfère contempler les beautés de la nature plutôt que de chasser. Il rêve de pouvoir prendre le temps. Le temps de porter un regard singulier sur le monde ; le temps de rêver, de regarder l’eau du ruisseau onduler et les nuages s’étirer dans le ciel. Il observe un monde en mouvement permanent ; où, comme chez Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Pourtant, Penss est seul. Il est seul face à la beauté du monde que les autres ne perçoivent pas. Son groupe l’exclut parce qu’il refuse la place qu’on veut lui imposer. Tu te trompes, lui dit-on. Mais Penss n’a pas de certitudes. Au contraire, il est en recherche permanente de sa place dans le monde.

La solitude devient pour lui une chance de pouvoir passer du temps avec lui-même. Alors que les autres sont trop occupés à courir après… après quoi ? Une position sociale. De meilleures conditions matérielles.

Pour autant, c’est aussi pour leur survie qu’ils luttent. Trouver de quoi manger le soir. Le rapport primordial à la nature est une lutte quotidienne, sans merci. La nature n’est pas seulement une beauté fascinante, c’est aussi un ennemi à conquérir et maîtriser. A la fois sauvage et généreuse – à condition d’en payer le prix.

L’histoire de Penss est aussi une histoire du doute et de l’échec. Il cherche à comprendre le cycle de la vie mais, pour cela, il doit d’abord se débarrasser de ses certitudes. Il refuse la bêtise des hommes arcboutés sur des principes et des croyances dépassées.

Le rêveur voit au-delà de l’évidence. « Et si l’illusion était dans vos yeux ? »

Penss découvre la structure du monde, un monde fait de plis.

Tout est fait de plis : dans les nuages, les écorces, les montagnes, les lignes de la main, les rides du visage. Plis de l’âme, aussi. Dans le tissu du monde, la matière se plie et se replie à l’infini. La même force est à l’œuvre partout, dans l’infiniment petit et dans l’infiniment grand.

Lorsqu’il plie, le cosmos ne se sépare pas en parties distinctes mais se divise, encore et encore, en plis de plus en plus petits. Il garde une cohésion, sans que sa substance ne se dissolve jamais. On ne peut jamais tout déplier, et de là vient la joie de la découverte permanente.

Pli sur pli, le monde est comme une disjonction d’images, une superposition infinie de plans, de surfaces glissant les unes sur les autres : en quelque sort, un labyrinthe stratifié, dont les plis se décomposent en mouvement courbes. Libre à nous de suivre les lignes de cette perpétuelle expansion et de les interpréter.

Le monde des plis est aussi celui des secrets, des creux obscurs, de l’envers et de l’endroit. Certains motifs sont amenés à la clarté tandis que d’autres sont maintenus dans l’obscurité, mais toujours présents à l’orée de notre perception, comme un bruit de fond. Intériorité et extériorité.

Accepter cette multiplicité, ce monde en perpétuelle ébauche, et faire partie d’un tout. De là vient l’harmonie et l’apaisement.

Et vous, faites-vous partie d’un monde plus grand et plus fort que vous ?

Marie-France Fourrier et Elena Richard

Jérémie Moreau, Penss et les plis du monde. Editions Delcourt, 2019.